Socrate
Source : Psychologies - Maîtres de vie
Socrate a une façon bien à lui de dialoguer. Il vous déroute par l’ironie (eirôneia), qui consiste à exprimer un point de vue identique, du moins en apparence, à celui de l’interlocuteur. Ainsi, devant ses juges qui l’accablent, il paraît s’accuser lui-même : « Oui, concède-t-il, tout ce que je sais, c’est que je ne sais rien » (“Apologie de Socrate”, 21 d). Mais cette autodépréciation est une feinte. Comme vous tous, insinue Socrate, je ne possède pas le savoir, seulement moi j’ai l’avantage de savoir que je ne sais rien. Cette conscience de l’ignorance reste, en 2004, un excellent antidote au dogmatisme… Et c’est le début de la connaissance.
Contre les sophistes qui cultivent l’art de plaire et de persuader par des procédés rhétoriques spécieux, Socrate privilégie le raisonnement rigoureux. D’où la place des définitions dans ses dialogues. Il faut toujours préciser de quoi on parle. Lors d’un dialogue sur la morale au cours duquel Ménon s’engage dans l’interminable énumération des vertus, Socrate soulève la question de fond qui seule importe : « Quelle est l’essence de la vertu ? » (“Ménon”, 79 e). Cette quête de définitions est le point de départ de la méthode dialectique.
Socrate enseigne à négliger les plaisirs inconstants et non-maîtrisables qui rendent esclaves du sensible, au profit de ceux qui fortifient l’âme. Il faut nous arracher aux illusions si nous ne voulons pas nous tromper de vie. Fondamentalement, nous sommes libres de nos choix, et c’est pourquoi il est capital d’éclairer ceux-ci par la vérité. La connaissance nous évitera de commettre le mal, qui n’est pas affaire de bonne ou mauvaise volonté, mais toujours la conséquence d’une ignorance. Une vision, je le crains, quelque peu optimiste de l’homme…
Le propre de l’humain est de ressentir un désir de vie supérieure. Ce désir s’exprime par l’amour, élévation vers l’absolu. L’expérience de l’amour est celle de la pauvreté, qui fait prendre conscience du bien qui nous manque. Même le désir terrestre est un mouvement ascensionnel. C’est ainsi que Socrate va convertir à la philosophie le beau et léger Alcibiade en le rendant amoureux de lui. L’activité philosophique est une forme d’amour, un désir inextinguible. Définition qui scelle le destin de la philosophie occidentale : celle-ci n’est pas la sagesse à proprement parler, mais seulement l’amour de la sagesse (philein, sophia).
Mais la chasse aux illusions ne suffit pas pour accéder au statut d’être humain. Il faut avoir le souci d’exister et cela exige d’avoir une idée exacte de ce qu’est l’homme. Notre essence est d’accéder à la connaissance de nous-mêmes : « C’est de l’âme qu’il faut avoir le souci » (“Alcibiade”3, 132 c). Socrate existentialiste avant la lettre ? En un sens, oui. « Son inappréciable mérite est d’être un penseur existant », dira de lui, au XIXe siècle, le théologien et penseur danois Kierkegaard. C’est cette authenticité qui me touche chez celui qui fut le maître de Platon, lequel orienta la philosophie dans un sens plus spéculatif. Socrate incarne la figure du philosophe complet, dans sa double vocation : vouloir la vérité et exister vraiment.
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