L'Eternel Féminin
Et l’Eternel Féminin toujours plus haut nous attire...
GOETHE
Quand le Dieu qui m’inspire m’apparaît sur ton visage...
HÖLDERLIN
L'amour comme Energie chez Teilhard de Chardin : L'éternel féminin
(Il a été volontairement pratiqué dans ce texte des coupures... une modification de la ponctuation et certaines modifications de syntaxe afin de permettre une lecture plus poétique et une prière plus féconde...
Pour les "puristes" qui voudraient retrouver le texte original veuillez consulter le texte de Teilhard ... Dans écrits du temps de la guerre. Source : Frère François )
ab initio creata sum...
Dès avant les siècles je suis sortie des mains de Dieu...
Ébauche destinée à s'embellir à travers les temps
Coopératrice de Son oeuvre
Tout dans l'Univers se fait par union et fécondation...
par rassemblement des éléments qui se cherchent
et se fondent deux à deux
Et renaissent en une troisième
Dieu m'a répandue dans le Multiple Initial
comme Force de condensation
et de concentration...
C'est Moi la face conjonctive des êtres...
Moi le parfum qui les fait accourir et les entraîne
librement... passionnément
sur le chemin de leur unification
Par Moi tout se meut et se coordonne...
Je suis le Charme mêlé au Monde pour le faire se grouper
L'Idéal suspendu pour le faire monter
Je suis l'Essentiel Féminin
The Mystery of Feminine Power
A l'origine, je n'étais qu'une vapeur ondoyante
Je me dissimulais sous des affinités à peine conscientes
sous une polarité lâche et diffuse
Et pourtant... j'existais !
Les nappes de substance cosmique
qui portent dans leurs plis la promesse de Mondes par milliers
dessinaient par leurs remous
les premiers linéaments de ma figure
j'agitais la masse originelle, presque amorphe
qui se précipitait dans le champs de mon attrait
j'insinuais jusque dans les atomes...abîmes de petitesse
l'inquiétude obscure et tenace
de sortir de leur solitude anéantie
de s'accrocher à quelque chose en dehors d'eux
C'est moi qui cimentais ainsi les bases de l'Univers...
Car toute monade, si humble soit-elle
pourvu vraiment qu'elle soit un centre d'activité
obéit dans ses mouvements à un rudiment d'Amour...
pour Moi
L'Universel Féminin
Avec la Vie, j'ai commencé à prendre corps
en des êtres choisis pour être mon image
Graduellement, je me suis individualisée
Indistincte et fugitive d'abord
comme si j'eusse hésité à me fixer sous une forme palpable...
Plus différenciée cependant
selon que les âmes devenaient susceptibles d'une union plus riche
plus profonde... plus spiritualisée...
le type de l'épouse et de la mère...
Au cours de cette transformation
je n'ai rejeté aucun des attraits inférieurs
qui avaient marqué les phases successives de mon apparition
Pas plus que le coeur de l'olivier ne se creuse
à chaque nouveau printemps...
Je les ai seulement englobés
assujettis à porter une conscience agrandie
De la sorte, à mesure que les vivants se perfectionnaient sur la terre
à toutes les zones concentriques de leurs désirs j'ai pu m'opposer
cercle à cercle
toujours en avance cependant sur leur croissance
comme la forme appropriée de leur béatitude...
Regardez l'immense frémissement qui court !
d'un horizon à l'autre
à travers les villes et la forêt !...
Considérez du haut en bas de la Vie
l'effervescence humaine par où fermente le monde
le chant et la parure des oiseaux...
le bourdonnement fou des insectes...
l'épanouissement inlassable des fleurs...
le travail obstiné des cellules...
le labeur sans fin des germinations...
C'est moi, le Rayon unique par où il est excité
et au sein duquel vibre tout cela...
avec le Feu qui brûle en son coeur...
Il accumule la Puissance
poursuit la gloire, crée la Beauté
il se voue à la science...
Et il ne se rend pas compte
que sous tant de formes diverses
c'est toujours la même passion qui l'anime
épurée, transformée... mais vivante !
l'Attrait Féminin
Dans la Vie, j'ai commencé à me révéler...
Mais l'homme est le premier qui m'ait reconnue
au trouble où l'a jeté ma Présence
Quand l'homme aime une femme
il s'imagine d'abord que son amour va seulement à quelqu'un comme lui
qu'il enveloppe de son pouvoir
Et qu'il s'associe librement
un rayonnement qui sensibilise son coeur
et illumine toutes choses...
Mais il attribue cette irradiation de mon être
à une disposition subjective de son esprit charmé
à un simple reflet de ma beauté sur les milles facettes de la Nature
de la violence qui se déchaîne en lui à mon approche
et il tremble en constatant
qu'il ne peut s'unir à moi sans être pris
comme le serviteur d'une oeuvre universelle de création
Il pensait ne trouver près de lui qu'une compagne...
et s'aperçoit qu'en moi il touche la grande Force Secrète
La mystérieuse Latence
venue sous cette forme pour l'entraîner...
Celui qui m'a trouvée est à l'entrée de toutes choses...
Non seulement par l'intermédiaire de sa sensibilité à lui
Mais aussi par les connexions physiques de ma nature à moi...
ou plutôt...
Je suis l'attrait de l'Universelle Présence...
et son innombrable sourire
C'est moi l'accès au coeur total de la création
la porte de la terre
l'Initiation...
et il est pris par l'Univers...
Ma science, hélas, est du Bien et du Mal...
et l'homme a été grisé par son initiation...
Quand il a vu que j'étais l'univers pour lui
il a cru qu'il pouvait m'encercler de ses bras
Il a voulu s'enfermer avec moi dans un monde clos
à deux
où nous nous suffirons...
A ce moment précis je me suis décomposée entre ses mains...
Et il a pu sembler que j'étais la perte de l'Humanité
la Tentation !
Ô hommes, pouquoi vous arrêter dans l'effort de purification laborieuse auquel mon charme est fait pour vous convier ?
Je suis essentiellement féconde
c'est à dire penchée sur le futur
sur l'idéal
Dès l'instant donc où vous essayez de me fixer
de me posséder sous une forme toute faite
vous m'étouffez...
Bien plus, vous pervertissez
vous renversez géométriquement ma nature
Parce que l'équilibre de la Vie , vous force à monter sans cesse
vous ne pouvez vous accrocher à mon Idole figée
Vous vous matérialisez
au lieu de devenir des dieux...
Sitôt qu'autour de moi vous reployez vos ailes
vous tombez avec la Matière...
car ce qui fait descendre la Matière
c'est l'union stérile et neutralisante de ses éléments
Vous n'étreignez que la Matière
car la Matière est un sens, une direction...
la face de l'esprit quand on l'aborde en reculant
Et votre chute s'accélère d'une manière effrayante
aussi vite que s'accroît la divergence entre vos appétits
Et au terme de vos efforts, poussière
vous n'embrassez que de la poussière
Plus vous me chercherez dans la direction du plaisir
ô hommes !
Plus vous vous éloignerez de ma Réalité...
La chair en effet qui se joue comme l'Attraction du Mal
entre vous et le Multiple inférieur
- image retournée de Dieu-
n'est que mon apparence inverse
flottant sur un abîme de dissociation
c'est à dire de corruption indéfinie
Inhabile à distinguer le Mirage de la Vérité
l'homme n'a pas su longtemps s'il devait me craindre ou m'adorer...
Il m'aimait pour mon charme et ma domination
il me redoutait pour ma puissance étrangère à lui
et mes inexplicables vertiges
J'étais sa force et sa fragilité
son espérance et son épreuve
sur moi se faisait la séparation des bons et des méchants
Peut-être m'aurait-il rendue définitivement mauvaise
si le Christ n'était venu...
et usque ad futurum saeculum non desinam...
Le Christ m'a sauvée
il m'a libérée !
Quand il a eu dit : Melius est non nubere
on m'a crue morte pour la vie éternelle
En réalité par ces paroles Il m'a ressuscitée
comme Lazare...avec Madeleine...
Il m'a placée entre Lui et les hommes comme un nimbe de gloire
En révélant la Vertu, Il a défini ma véritable Essence
et remis les hommes qui avaient perdu ma trace
Dans le Monde régénéré , je continue à être
comme dès ma naissance, appel à l'union avec l'Univers
attrait du Monde posé sur un visage humain
Mais la Vraie union est celle qui simplifie
c'est à dire qui spiritualise
...la Vraie fécondité est celle qui associe
les êtres dans la génération de l'Esprit
Pour rester Femme dans la sphère nouvelle
où la Créature a accédé
il m'a fallu changer de forme,
sans que fût altérée mon ancienne nature...
Tandis que mon image trompeuse
continue à fasciner le voluptueux vers la Matière
Ma Réalité s'est élevée, attirante
elle plane entre le Chrétien et Dieu
Je séduis toujours ...mais vers la Lumière !
J'entraîne encore...mais dans la Liberté !
Je suis désormais la Virginité
La Vierge est encore femme et mère
Voilà le signe des temps nouveaux...
Les païens sur l'Acropole
reprochent à l'Évangile d'avoir défiguré le Monde...
Et ils pleurent la Beauté...
c'est un blasphème !
La Voix du Christ n'est pas signal d'une rupture...
d'une émancipation
Comme si les élus de Dieu , rejetant la Loi de la Chair
pussent briser les liens les attachant aux destinées de leur race
et s'échapper du courant cosmique où ils ont pris naissance
Celui qui entend l'appel de Jésus n'a pas a rejeter l'Amour...
Il doit bien au contraire rester essentiellement humain
Il a donc besoin de Moi pour sensibiliser ses puissances
Pour le Saint , plus que pour personne
je suis l'ombre maternelle qui se penche sur le berceau...
la forme radieuse que prennent les rêves de jeunesse...
l'aspiration fondamentale qui traverse le coeur...
comme puissance indiscutée et étrangère
la trace dans l'être individuel,
de l'axe de la Vie
Le Christ m'a laissé tous mes joyaux
Seulement ...Il a fait tomber sur moi du Ciel
un rayon qui m'a sans limites, idéalisée
Il lui a plu d'abord, de donner un élan nouveau
à l'essor naturel de mon développement
Devant une humanité qui monte sans arrêt
mon rôle veut que je me retire toujours plus haut
suspendue au dessus des aspirations grandissantes de la Terre
comme un attrait et une proie
Le féminin, c'est sa nature même
doit aller en s'accentuant sans cesse
dans un Univers qui n'a pas fini d'évoluer...
Assurer la dernière éclosion de ma tige
sera la gloire et la joie de la Chasteté
Innombrables sont les essences nouvelles
livrées d'âge en âge par la Nature à la Vie !
Sous l'influence chrétienne je combinerai
jusqu'à ce que s'achève leur Création
leurs raffinements dangereux et subtils
en une perfection toujours changeante
où se résument les aspirations de chaque génération nouvelle
On verra donc, tant que durera le Monde
se réfléter sur le visage de Béatrix
les rêves d'art et de science
vers lesquels chaque nouveau siècle se lève...
La femme n'a pas cessé depuis les origines
de prélever pour elle la fleur
de tout ce que produisaient la sève de la Nature
et l'artifice humain
Qui pourrait dire en quel bouquet de perfections
individuelles et cosmiques
je m'épanouirai au soir du Monde
à la façe de Dieu ?
Je suis l'immarcescible Beauté des temps à venir...
Je suis l'Idéal Féminin
Plus, ainsi, je deviendrai Femme
plus immatérielle et céleste se fera ma figure
En moi l'âme tend à sublimer le Corps
la Grâce à diviniser l'âme
Ceux qui veulent me garder
devront changer avec moi...
Voyez !
Insensiblement le foyer de mon attrait se déplace vers le pôle
où convergent toutes les directions de l'Esprit...
L'iris de mes charmes
jeté comme une parure sur la Création
replie lentement ses franges...
L'ombre gagne déjà la chair
même épurée par les sacrements
Un jour peut-être, elle atteindra jusqu'à l'art
jusqu'à la science
ces choses qui s'aiment comme une Femme...
Le rayon tourne
Bientôt il ne restera plus que Dieu pour vous
dans un Univers entièrement Virginisé
En moi c'est Dieu qui vous attend !
Dieu ...
je l'ai attiré vers moi bien avant vous...
Bien avant que l'homme eût mesuré l'étendue de mon pouvoir
et divinisé le sens de mon attrait
le Seigneur m'avait déjà conçue toute entière dans sa Sagesse
et j'avais gagné son coeur
Pensez-vous que sans ma Pureté pour le séduire
il fût jamais descendu chair au milieu de la Création ?
L'Amour seul est capable de mouvoir l'être !
Dieu donc, pour pouvoir sortir de soi
devait au préalable jeter devant Ses pas un chemin de désir
répandre en avant de Lui un parfum de beauté
C'est alors qu'Il m'a fait surgir
vapeur lumineuse sur l'abîme
entre la Terre et Lui
pour venir en moi habiter parmi vous !
Comprenez-vous maintenant
le secret de votre émotion
quand je m'approche ?...
La tendre compassion, le charme de sainteté
qui émanent de la femme
si naturellement
que vous n'allez les chercher qu'auprès d'elle
et pourtant si mystérieusement
que vous ne pouvez pas dire où est leur source
C'est la présence de Dieu qui se fait sentir
Placée entre Dieu et la Terre
comme une région d'attraction commune
Je les fais venir l'un à l'autre
passionnément !
...Jusqu'à ce qu'en moi ait lieu la rencontre
où se consomment la génération
et la plénitude du Christ à travers les siècles
Je suis l'Eglise, Epouse de Jésus
Je suis la Vierge Marie, Mère de tous les humains
°
On pourrait croire que dans cette conjonction du Ciel et de la Terre
je suis destinée à disparaître
comme une servante inutile...
que je dois m'évanouir
Ombre devant la Réalité
Que ceux qui m'aiment bannissent cette crainte !
Pas plus que l'être participé ne se perd en atteignant son Principe
mais ainsi qu'il s'achève au contraire en se fondant en Dieu...
Pas plus que l'âme, une fois formée
n'élimine absolument les innombrables éléments dont elle est sortie
mais ainsi qu'elle garde essentiellement en soi
une puissance et une exigence de chair en laquelle s'envelopper...
Pas d'avantage le Cosmos divinisé ne rejettera hors de soi
mon influence créatrice
par qui s'est noué progressivement
et en qui demeure lié
le faisceau toujours plus compliqué
et simplifié de ses atomes
Jusque dans les ardeurs du contact divin
je subsisterai tout entière avec tout mon passé
Bien plus, je continuerai à me révéler
aussi inépuisable dans mon devenir
que les charmes infinis dont je suis toujours, même inaperçue
le vêtement, la figure ...et l'accès...
Alors que vous me croirez absente
alors que vous m'oublierez
-air de votre poitrine, lumière de vos yeux-
je serai encore là, noyée dans le soleil
que j'ai attirée en moi...
Il vous suffit, n'est-il pas vrai, bienheureux élus
de relâcher pour un instant la tension qui vous précipite en Dieu
ou de regarder un tant soit peu en deçà du foyer qui vous fascine
pour voir de nouveau à la surface du Feu divin
se jouer mon image
Et à ce moment vous admirez...
Que dans les longs plis de mes charmes
se déroule toujours vivante
la série des attractions successivement traversées
qui depuis les confins du Néant
ont fait accourir et se rassembler
les éléments de l'Esprit...par amour
Je suis l'Eternel Féminin
Teilhard de Chardin
( Verzy 19-25 mars 1918)
Libellés :
Hommage à la vie,
Poésie
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