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Les ouvriers





MARGUERITE YOURCENAR, VIRGINIA WOOLF. DEUX FEMMES LIBRES.

Rencontre en 1937, à Londres, quartier de Bloomsbury. La jeune auteure de 34 ans, encore peu connue, rend visite à la grande romancière anglaise, 55 ans,  car elle traduit son roman "Les Vagues" pour les éditions Stock. Dans son "Journal", Virginia Woolf ne mentionne la chose qu'en peu de mots.


Dans la préface de "Vagues", Marguerite Yourcenar, éblouie, nous détaille la scène. 

On les imagine dans le salon, très différentes, parlant un peu de traduction. Mais surtout de "l'état présent du monde". En Europe, 1937, c'est la montée au pire, la Rhénanie occupée, la guerre d'Espagne. Marguerite Yourcenar qui s'est fait connaître par "Feux" s'intéresse à l'amour mais elle a aussi publié en 1934 "Denier du rêve", un roman sur un attentat antifasciste dans l'Italie de Mussolini. Avec son livre "La Mort conduit l'attelage" paru cette même année, elle a posé les prémices de l'univers littéraire de ses trois grands romans à venir. Elle raconte :


"Il y a peu de jours dans le salon vaguement éclairé par les lueurs du feu où Mrs Woolf avait bien voulu m'accueillir, je regardai se profiler sur la pénombre ce pâle visage de jeune Parque à peine vieillie mais délicatement marquée par des signes de la pensée et de la lassitude, et je me disais que le reproche d'intellectualisme est souvent adressé aux natures les plus fines, les plus ardemment vivantes, obligées par leur fragilité ou par leur excès de forces à recourir sans cesse aux dures disciplines de l'esprit. Pour de tels êtres, l'intelligence n'est qu'une vitre parfaitement transparente derrière laquelle ils regardent attentivement passer la vie. Et tandis que Virginia Woolf, dirigeant la conversation sur l'état présent du monde, voulait bien me faire part de ses inquiétudes et de ses tourments, qui sont les nôtres, et où la littérature ne tenait qu'une petite place, je pensais tout bas que rien n'est complètement perdu tant que d'admirables ouvriers continuent patiemment pour notre joie leur tapisserie pleine de fleurs et d'oiseaux, sans jamais mêler indiscrètement à leur oeuvre l'exposé de leurs fatigues, et le secret des sucs souvent douloureux où leurs belles laines ont été trempées". 


Préface et traduction de Marguerite Yourcenar, "Les Vagues", édition Stock, 1937 où elle évoque l'oeuvre de Virginia Woolf et sa vision du "Temps-Atmosphère". Repris dans l'essai "En pèlerin et en étranger", 1989, Gallimard. (Bulletin de la SIEY, n°15)



Source : Marguerite Yourcenar




Crédit photo  : The Craftsmen Photography

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