Charlie Chaplin
Cet article commémore le trentenaire de la mort du plus grand génie de toute l'Histoire du Cinéma: Charlie Chaplin...
Le plus grand génie du Cinéma
C'est simple, nous pouvons évoquer François Truffaut, Alfred Hitchcock, Ingmar Bergman, Sergueï Mikhaïlovitch Eisenstein, Stanley Kubrick, Jean-Luc Godard, Orson Welles, David Wark Griffith, Vittorio De Sica, Fritz Lang, Leo Mac Carey, Luchino Visconti, Francis Ford Coppola, Woody Allen, Sergio Leone, Alain Resnais, Dziga Vertov, Frank Capra, Luis Bunuel, Michelangelo Antonioni, Akira Kurosawa, King Vidor, Federico Fellini, Friedrich Wilhelm Murnau, Roberto Rossellini, John Ford, Jean Renoir, Andreï Tarkovski, Eric Von Stroheim, Howard Hawks, Jean Vigo, Satiajit Ray, Pier Paolo Pasolini, Stanley Donen, Ernst Lubitsch; personne n'a dépassé le génie et la créativité absolue de Sir Charles Spencer Chaplin...Godard a dit de lui qu'il est au-dessus de tout éloge et c'est vrai.
Avant-propos
Charlie Chaplin naît dans le quartier de East Street en 1889, le soir du 16 Avril, à Londres...Sa mère, Hannah, était cantatrice...Dois-je continuer? Dois-je vous "informer" de ce que vous savez déjà? Est-ce le plus bel hommage que je puisse faire à un homme unique, symbole d'un monde où se croisent généralement le policier et sa matraque, les narines des enfants défavorisés sentant les saucisses grillées, une belle fille innocente, un bourreau terrifiant, des rues grises où les murs des maisons s'effritent et, au milieu de tout ce petit monde, un charmant vagabond au regard hautain, à la démarche incertaine, tentant d'exposer une dignité qui s'efforce d'exister dans une misère sociale fracassante; est-ce donc le plus bel hommage que, moi, simple admirateur d'un esprit qui n'a cessé de bercer mon enfance, puis-je faire de la manière la plus personnelle qui soit? Je n'y crois pas un instant...Cependant, André Bazin hante mon esprit, car il s'agit de celui qui a le mieux cerné l'univers si particulier de Chaplin, son rapport aux objets par exemple... A défaut de me poser des questions, je tenterai d'être le plus sincère possible, et ainsi, je pourrai dire que mon hommage à Charlie Chaplin est personnel.
Une démarche légendaire, une humanité sans pareille, Charlot existe...
Le personnage de Charlot est ancré dans toute mémoire de cinéphile: ses grands godillots, son pantalon-sac-poubelle, sa veste étriquée, sa canne en bambou, son chapeau melon trop petit et sa moustache si particulière font partie de la culture populaire( de moins en moins aujourd'hui malheureusement). Ce personnage de vagabond aux allures de British a été inventé en 1914; sa première apparition est magistrale: il s'agit de Charlot est content de lui, un court-métrage qui peut paraître assez quelconque mais qui se révèle être selon moi une oeuvre très moderne du fait d'une mise en abîme constante du Cinéma; Charlot existe si et seulement si il apparaît à l'Ecran, dans le champ du Cinéaste; notre vagabond a bien compris cela (tout comme Chaplin, qui a débuté notamment avec la troupe de Fred Karno; il était donc un "homme des planches", un saltimbanque qui apparaît, reste dans l'esprit du spectateur avant de sombrer définitivement dans l'oubli et la reconnaissance la plus méprisable qui soit...Un artiste en somme!), et il décide donc de monopoliser l'espace tracé par l'oeil de la caméra. Premier coup d'éclat, le public apprécie cet homme qui est si proche du spectateur, il tente d'apparaître, ce n'est donc pas un acteur (il s'agit d'ailleurs du deuxième regard-caméra de l'Histoire du Cinéma, le premier étant celui du cow-boy dans Le vol du Grand Rapide; rien à voir donc avec celui de Monika, lequel date de...1953).
Charlot, éternel vagabond en quête d'existence...
Premiers films chez l'Indien...
Chaplin effectue ses premiers films à la Keystone, avant de partir à la Essanay (le sigle de cette société est un Indien), en quête de plus d'autonomie...Il réalise donc ses films car Sennett, l'homme qui l'a lancé au Cinéma, ne supportait pas son envie de tout contrôler...Cette série de treize courts-métrage est axée sur le rire du burlesque...Les actions sont donc violentes et suscitent un effet d'exagération quant au décor qu'est la vie réelle, comme en témoigne la scène d'embauche dans Charlot débute, où le vagabond se bat avec Ben Turpin pour être le premier auditionné ou encore le chien qui mordille les fesses de l'adversaire de Charlot dans Charlot boxeur...N'omettons pas le formidable duel entre l'homme à la moustache et un quidam dans Charlot à la plage...Tous ces gags(tournés entre 1915 et début 1916), axés sur l'exagération de la situation, ne se démarquent pas encore tout à fait du vaudeville...Ce qui ne fut pas le cas des films à la Mutual...
Vers une approche plus cinématographique
Effectivement, Chaplin se sent compressé à la Essanay; il décide de partir à la Mutual en 1916, une compagnie qui lui offre des avantages sans précédent: Chaplin est complètement autonome, son salaire est hebdomadaire et il perçoit même un pourcentage sur les recettes de ses créations! De tels avantages ont suscité de vives polémiques et jalousies...Mais les films réalisés par Chaplin deviennent sublimes...André Bazin affirme: Mais les objets ne servent pas Charlot comme ils nous servent (...) chaque fois que Charlot veut se servir d'un objet selon son mode utilitaire, c'est-à-dire social, ou bien il s'y prend avec une gaucherie ridicule( en particulier à table), ou bien ce sont les objets eux-mêmes qui se refusent,à la limite, volontairement. Cette citation devient parfaitement explicite avec Charlot rentre tard, chef-d'oeuvre de comédie, qui voit le vagabond (élégamment habillé pour une fois) rentrer dans sa maison complètement saoûl...Les gags sont travaillés, parfaitement rythmés et la caméra effectue de temps en temps de lents panoramiques qui ne sont que le reflet de l'impuissance de Charlot sur son corps et sur les objets...Un coup de génie au sein de la Mutual, mais ce n'est pas le seul: citons Charlot patine, Charlot policeman, L'Emigrant( qui relate les souvenirs de Chaplin avec la compagnie Karno, son arrivée en Amérique; scène qui a certainement inspiré Coppola pour Le Parrain II), Charlot s'évade( le premier film de Chaplin que j'ai vu, un véritable choc! C'est également le premier film muet qu'il m'ait été permis de voir: le gardien de prison tire un coup de fusil mais rien ne s'entend...Quel univers envoûtant que le Cinéma!)... Chaplin quitte cependant la Mutal et le court-métrage ingénieux pour réaliser des moyens-métrage...ingénieux...
Engagement politique et films d'auteur
La Première Guerre Mondiale arrive à son terme; l'Amérique s'est engagée en 1915 dans le conflit suite à l'affaire du Lusitania (un paquebot qui fut coulé par un sous-marin allemand). Chaplin milite pour l'effort de guerre, il embrase les foules aux côtés du couple Fairbanks/Pickford. Il réalise un très court-métrage, The Bond, qui est diffusé partout aux Etats-Unis à la fin de 1918...Ses détracteurs critiquent son "engagement superficiel" car Chaplin soutien l'effort de guerre mais lui-même ne va pas au combat...Un Artiste, messieurs les détracteurs, se bat avec son Art, pas avec ses poings...Mais il utilise ses mains, tel Eisenstein pour monter Octobre, Picasso pour peindre Guernica ou Hugo pour écrire Quatre-vingt-treize...Chaplin va donc prouver qu'il est un artiste, un homme qui sait redonner le moral aux troupes (même si la Guerre était terminée, il subsiste les "Gueules cassées", hospitalisées, qui réclament du divertissement et de la chaleur humaine car leur âme est meurtrie à jamais, la Guerre est pour elles éternelle), avec un film magnifique datant de 1918, sa troisième collaboration avec la First National, Charlot Soldat...Le titre est intriguant, Charlot ayant toujours rejeté toute forme d'autorité...Seulement, cette époque est révolue...La "Der des Der" est arrivée et Charlot se retrouve enrôlé dans l'armée...Il songe aux tranchées, aux courriers qui viennent de la famille, aux inondations, aux Allemands et donc au Kaiser...Dans un enchaînement volontairement invraisemblable, Charlot devient un héros, allant même jusqu'à botter les fesses du Kaiser ( admirablement interprété par Sydney Chaplin, le frère de Charlie) qu'il aura enlevé...Ce moyen-métrage est une perle de comédie, où les actions s'enchaînent à une vitesse folle, et où les moments de bravoure ne manquent pas (Charlot se transformera en arbre pour espionner l'ennemi, un moment hilarant plein de malice). Arrive ensuite Une idylle aux champs, puis Une journée de plaisir, qui ressemble davantage à un film Essanay qu'à un film de 1919 pour Chaplin...1919, justement, est une année magique pour Chaplin. Il crée avec Douglas Fairbanks, Mary Pickford, David Wark Griffith et Thomas Ince la United Artists, société indépendante qui sera ruinée par Michael Cimino avec La porte du paradis(Et contrairement à ce que l'on dit, Tom Cruise n'a pas ressuscité la United Artists, les budgets ne correspondant pas au "visage" de cette production)...Le premier film de Chaplin produit par cette société date étonnamment de 1923...Pour le moment, Chaplin va signer son oeuvre la plus autobiographique, The Kid, en 1921, après un retour triomphal à Londres, à East Street notamment, la rue de sa terrible enfance...
Chaplin et son double, Charlot, et ses doubles...
Chaplin réalise donc The Kid. Chose rarissime à l'époque, le titre ne comporte pas le nom de Charlot...Le sujet est donc autre part...Effectivement, le personnage principal du film est Le Gosse, l'enfant qui accompagne Charlot ou, devrais-je dire, l'enfant qui est accompagné par Charlot...Le film voit ainsi une démultiplication de Chaplin: Charlot tout d'abord, c'est-à-dire, l'évolution "logique" de Chaplin, et l'enfant, John, c'est son nom, qui pourrait être le reflet de Chaplin enfant; les deux bons hommes se complètent, fusionnent, mais ne peuvent vivre ensemble; aussi, la fin peut sembler irréaliste et peut-être est-ce un prolongement du rêve de Charlot qui, après avoir vu des anges parcourir les rues pauvres de Londres, se retrouve miraculeusement aux côtés de "son" enfant et de sa mère, milliardaire, accueillant chaleureusement Charlot dans sa demeure, bercé alors par la mélancolique musique composée par Chaplin...Un chef-d'oeuvre absolu de cinquante minutes est assez rare au Cinéma; c'est pourquoi il faut avoir vu The Kid...
Un couple légendaire, mais une seule personne...
Une qualité remarquable pour une fin de série
Chaplin réalise trois autres moyens-métrage, dont deux films magnifiques (n'ayant pas vu Jour de paye, je ne peux en parler...): Charlot et le masque de fer, qui évoque un Charlot vagabond et un autre richissime, cynique et impitoyable; l'autre, Le Pèlerin est une mine d'or de gags extrêmement travaillés( revoyez la scène où Charlot, qui s'est évadé de prison, pioche au hasard une destination et tombe sur...Sing-Sing! Magnifique! Ou encore celle où Charlot fait un gâteau...très particulier!).Ce dernier film est également une critique de la société puritaine américaine: la séquence du sermon effectuée par Chaplin a déclenché les foudres du public chrétien et pratiquant; Charlot, déguisé en pasteur, maudit la partie des croyants présent dans la salle n'ayant pas donné assez d'argent pour les quêtes...
Débuts difficiles à la United Artists...
Le film suivant de Chaplin, L'Opinion Publique, reçut un accueil médiocre aux Etats-Unis; effectivement, Chaplin n'a qu'un rôle de figurant (d'ailleurs, un critique pertinent de l'époque a remarqué ce petit homme, le comparant à...Charlot...). Cependant, Chaplin est comparé à Griffith du point de vue de la mise en scène, virtuose, parait-il. Ainsi, même si le public réclame Charlot, la critique voit en Chaplin un véritable maître du Cinéma muet...Malheureusement, cet échec public affecta profondément le cinéaste, qui crut alors être "étiqueté", réduit au "simple" rôle de Charlot, éternel vagabond au grand coeur...Chaplin va renouer avec son personnage et donc avec le succès dans La Ruée vers l'or. Tout d'abord, le réalisateur semble vouloir imiter son ami Griffith; effectivement, la première séquence a nécessité plus de deux milles figurants (ils étaient pour la plupart des...vagabonds) et confère à son long-métrage un air d'Intolérance babylonienne. Le film s'ouvre également vers une approche documentaire de son sujet: la ruée vers l'or...Où se trouve donc Charlot? Ce personnage tant réclamé après le malheureux échec de L'Opinion Publique. Il est solitaire, comme toujours, cette fois dans une montagne, bravant ours animaliers et humains...Le petit homme se réfugie dans une cabane pendant une tempête de neige très violente...Il est confronté à un criminel, Black Larsen, et à un autre chercheur d'or, Jim. Ce dernier a découvert une mine d'or colossale, mais il est assommé par Larsen, et perd ainsi la mémoire...Charlot tombe amoureux de la belle Georgia, qui ne s'intéressera à lui qu'à cause de sa terrible maladresse.Jim retrouve la mémoire et c'est au bout d'une quantité impressionnante de péripéties que les deux compères deviennent on ne peut plus riches...Ce film existe dans deux versions; la première, datant de 1925, est muette et comprend de nombreux intertitres "personnalisés", c'est-à-dire avec beaucoup de dessins illustrant les émotions du vagabond; la seconde version, la plus répandue aujourd'hui, date de 1942: les plans datent (presque tous) de 1925, mais ils sont secondés par une voix délicate bien que grave.C'est celle de Charlie Chaplin lui-même! Les intertitres disparaissent totalement et la toute fin est également différente. Cette expérience prouve une fois de plus le perfectionnisme qui hante l'Artiste face à son Oeuvre, celle de Chaplin, magnifiée tout au long de sa carrière. Certains affirment qu'il faut "assumer ses oeuvres" mais lorsqu'elles sont retouchées et non rejettées, qui se plaindra de voir un Artiste persévérer dans son chemin menant à une double satisfaction: celle du public et celle de son auteur?
Un univers de sciure, de rires et de larmes. LE CIRQUE!
Après un succès magnifique, Chaplin entame un nouveau film, avec pour cadre un milieu jugé dangereux pour le Cinéma: le cirque. Effectivement, les conditions de travail des saltimbanques sont terribles et elles peuvent très rapidement bénéficier d'un mélodramatisme gênant et naïf. Cependant, le réalisateur de ce film est, je vous le rappelle, Charlie Chaplin...Le succès artistique sera donc absolu mais au prix de terribles événements qui ont déprimé le Génie (le stress accumulé par les horreurs du tournage donne à Chaplin des cheveux blancs...). Le Cirque est un des sommets comiques du burlesque mais le tournage fut totalement apocalyptique...Ce dernier débute fin 1925: le chapiteau du film est brûlé, s'ensuit une tempête qui détruit les décors...Et ce n'est pas tout; Chaplin entame une procédure de divorce avec Lita Grey, laquelle est soutenue par de perfides avocats qui lui font dire que le Génie du Cinéma possède une cruauté mentale et une perversion sexuelle. Le tournage est maintes fois interrompu, et il s'achève à la fin de 1927...Qu'évoque ce chef-d'oeuvre sous-estimé? Charlot, encore et toujours, est poursuivi par un policier à la suite d'un quiproquo...Il se retrouve dans un cirque, en pleine crise financière, et provoque involontairement l'hilarité du public...Il est embauché par Monsieur Loyal, le père d'une jeune et jolie fille privée de nourriture pour mauvais résultats dans ses numéros...Cependant, lorsque Charlot tente d'être drôle, c'est l'échec le plus total. Ce pauvre homme est relégué à la place de l'accessoiriste. De nouveau, il est involontairement hilarant...Charlot et la jeune femme semblent vivre une idylle, qui sera troublée par le séduisant Rex, le nouveau funambule. C'est alors que le vagabond ne fait plus rire, et provoque le mépris du public et de la jeune femme, fiancée à Rex. Charlot assiste alors à une scène terrible: le propriétaire du cirque bat sa fille...Le vagabond décide donc sans réfléchir de frapper son propre patron, et se retrouve contraint à quitter le chapiteau...La jeune fille décide de suivre Charlot, alors exilé non loin du cirque, au clair de lune...Le petit homme arrange donc le mariage (secret) de Rex et de la jeune fille...Il est repris par son patron, sous la contrainte, mais lorsque la troupe nomade doit quitter l'endroit qu'elle occupe, Charlot ne rejoint pas la caravane...Il entame donc une nouvelle aventure, solitaire comme toujours, à la recherche d'un milieu dans lequel il se sentira à sa place... Chaplin apporte donc une nouvelle épaisseur à son double; Charlot devient l'homme qui offre sans attente en retour, personnage irréel, symbole d'un idéal humain et humaniste...Cette facette du petit homme sera davantage développée dans son film suivant Les Lumières De La Ville, bien que cet humanisme sera possible au nom de l'Amour...
Au vu de la carrière de Chaplin et donc de ses films, je m'aperçois qu'il est un génie...Ô, quelle lucidité, me direz-vous d'un air ironique...Pourquoi Chaplin peut-il d'ors et déjà être considéré comme un génie, alors qu'il nous reste sept films à évoquer sans compter sa vie personnelle? Souvenez-vous: Chaplin arrive en 1914 dans le milieu cinématographique, alors en pleine expansion, sauvage, certes, mais en pleine période de fluctuations, d'essais, d'erreurs et de réussites...Avant Griffith et sa Naissance d'une nation...Naissance...Naissance...Ce doux nom correspond parfaitement à cette époque...Le Cinéma est né, mais sans un patriarche (Griffith, vous l'aurez compris), peut-il espérer survivre? Naissance...Naissance...D'une nation, d'un nouveau moyen narratif, pas encore d'un Art...Naissance...Naissance...De studios de plus en plus impressionnants, d'acteurs talentueux (nous ne parlons pas ici de naissance physique, biologique mais cinématographique) comme Charley Chase, Oliver Hardy, Roscoe Arbuckle, Ben Turpin, Harold Lloyd, Stanley Laurel, Charlie Chaplin...Les réalisateurs talentueux sont rares...Citons Mack Sennett, Mack Sennett et Mack Sennett...Naissance...Naissance...D'un Cinéma en exportation, bien que né en France, il fut définitivement approprié par les Américains, comme en témoigne cette lutte ridicule qui oppose deux sérials, l'un est Américain ( Les Mystères de New-York), l'autre est Français (Les Vampires)...Naissance...Naissance...De rivalités, de tensions, d'une Guerre Mondiale...Naissance...Naissance...D'une diversion, le Cinéma...Tiens! Charlot est là! En vaillant soldat, dans les tranchées...C'est Charlot Soldat, en 1918...Permettez-moi de faire un flash-forward: 1918...Fin de la Guerre...Tomania...Chaplin...Hynkel...Le Dictateur...Tout est lié...Godard parlait des Histoire(s) du Cinéma, là où l'histoire du Cinéma ou même d'un film, s'imbrique automatiquement dans l'Histoire, la Véritable,celle des Hommes, de leurs souffrances et de leurs victoires...Victoire...Nous parlions de réussites à propos du Cinéma...Chaplin en est une...Pourquoi? Retour à la case départ...Le départ justement...Chaplin est arrivé là où rien n'existait, il a inventé, innové sur une matière inexistante; aussi, il a produit; beaucoup produit...Il s'est fabriqué un tremplin pour arriver aux Temps Modernes, l'épilogue de Charlot, d'une certaine époque, le muet...Mais avant ce tremplin, il reste une couche à développer, celle qui fut créée avec Le Cirque... Relisez la fin du précédent paragraphe, et replongeons-nous dans ce personnage tellement fascinant, stable comme la voiture d'Une Journée de Plaisir, toujours prêt à sauter quelque part...Le prochain saut sera pour la Ville...
Les lumières invisibles...
Le 28 Août 1928, la mère de Chaplin, Hannah, décède à Los Angeles...C'est un terrible choc pour la famille qui garde en tête le décès prématuré de Norman Spencer Chaplin, fruit de l'union entre Mildred Harris et Charles Spencer Chaplin, survenu trois jours après sa naissance, le 11 Juillet 1919...Bien que la Mort entoure Chaplin (et au fond, toute personne possédant une famille...), son nouveau projet aborde l'Amour, la Passion, l'Amour fou et platonique. Il unit une aveugle très pauvre et un pauvre vagabond...Ne voyez pas ici un double (féminin) de Charlot comme on a pu le voir avec Jackie Coogan dans The Kid...Non, tout est dans la différence entre ces deux êtres "lâchés" par la société impitoyable représentée notamment par ces deux jeunes vendeurs de journaux aux farces assez lourdes...Ce film, jusqu'ici le chef-d'oeuvre de Chaplin, se nomme Les Lumières de la ville...Le tournage débute le 27 Décembre 1928 et la première mondiale aura lieu à Los Angeles, le 30 Janvier 1931...Que s'est-il passé pour que deux années séparent ces instants fatidiques pour le patrimoine cinématographique? Le tournage fut très long du fait du perfectionnisme maladif de notre cher cinéaste...La rencontre entre Charlot et la jeune fleuriste aveugle est un sommet de perfection et d'audace; le film est muet et le "truc" de cette séquence tient d'un élément sonore inaudible; longtemps, on a reproché à la Caméra de Chaplin d'être on ne peut plus statique et c'est ainsi que le Génie parvient à résoudre ces deux problèmes. Un panoramique filé suffit à apporter un nouveau souffle à la mise en scène "chaplinesque"...Cette séquence nécessita cependant plus de trois cents ou mille prises selon les versions à cause de l'actrice principale, Virginia Cherrill, qui fut renvoyée puis reprise par Chaplin, faute de remplaçante convaincante (bien que Chaplin fit des essais avec Georgia Hale, protagoniste féminin de La Ruée vers l'Or...). Le réalisateur est donc un véritable metteur en scène, mais aussi un producteur; le luxe qu'il s'offre à magnifier encore et encore tous ses plans est inestimable d'un point de vue financier mais aussi d'un point de vue artistique. Cette oeuvre apporte une thèse sur l'Amour alors que Monsieur Verdoux, le véritable chef d'oeuvre de Chaplin, apportera l'antithèse; la thèse est le développement de cette fameuse "couche" supplémentaire ajoutée par Chaplin sur son double: le vagabond décide de travailler et s'insère donc dans une société qu'il a toute sa vie rejetée afin de donner de l'argent à une jeune fille aveugle souffrant de problèmes de santé (sa cécité qui peut être guérie grâce à un docteur offrant une opération unique) et ayant des difficultés à payer son loyer...Cette preuve d'amour est essentielle et marque un nouvel engagement humaniste, ou politique pour certains, qui semblait avoir disparu depuis les moyens-métrage de la First National; Chaplin montre ce qu'est la solidarité entre les classes sociales (bien que Charlot et la fleuriste fassent partie de la même classe: celle de la pauvreté) : en effet, si Chaplin avait mit en scène un riche aidant une pauvre, le cliché aurait été flagrant et navrant. C'est une des raisons pour lesquelles Charlot est également universel: physiquement, il a l'air d'un vagabond (The Tramp) mais il échappe toujours à la police, aux méchants brigands et désormais aux classes sociales. Charlie Chaplin affirme donc avec Les Lumières de la ville que Charlot est le symbole d'un idéal humain (comprenez par là qu'il n'est pas une divinité) et humaniste échappant à toute identité pour que chaque spectateur puisse se l'approprier et c'est là la grande force de cette figure de la culture populaire...
Je suis un citoyen du monde !
Ainsi parlait Chaplin, lorsqu'on le questionna sur son refus d'adopter la nationalité américaine. Effectivement, le cinéaste est anglais et le restera jusqu'à la fin de sa vie. Curieux paradoxe! Le petit homme, anglais, affirme qu'il est un citoyen du monde...Il part pour une tournée à travers le monde qui durera dix-huit mois. C'est ainsi qu'il s'entretiendra avec Winston Churchill, Albert Einstein et Gandhi notamment pour échanger des idées sur les systèmes économiques, politiques et l'évolution des relations internationales. Chaplin souhaitait rencontrer Benito Mussolini, mais ce dernier décline le rendez-vous...Il est accueilli comme un véritable dieu en Allemagne, et la propagande nazie en profite pour détourner les images de son arrivée, l'accusant d'être juif...Les tensions sont de plus en plus fortes entre communistes et nazis aux Etats-Unis; les grèves sont sévèrement réprimées par la police, la crise économique a totalement remis en cause les fondements même du capitalisme...Le capitalisme justement, le prochain sujet de Chaplin, dissocié du bonheur et d'un idéal humain...Ce film sera le dernier dans lequel Charlot apparaîtra...Ce sera Les Temps Modernes...
L'humanité à la recherche du bonheur
Charlot est désormais ouvrier à la chaîne...Il accumule les maladresses, le rythme est infernal à l'usine et ceci le conduit à la folie et à la dépression...Une fois guéri, notre vagabond est malencontreusement pris pour un meneur de grévistes et il est jeté en prison. Il parvient à empêcher une évasion et est libéré pour bonne conduite...Mais le retour à la liberté le rend bien nostalgique de sa chère cellule jusqu'à ce qu'il tombe (littéralement!) sur une jeune fille, "La Gamine" (rayonnante Paulette Goddard), avec laquelle il tente de survivre dans une société corrompue par la technologie croissante de l'époque. Seul un monde utopique produit par l'imagination sans faille de Charlot lui fait oublier le bâton du policier. C'est ainsi qu'une nuit, alors qu'il est gardien d'un grand magasin, il savoure avec sa compagne les joies des patins à roulette, de gâteaux ou encore, et ce bien malgré lui, de l'alcool... Il est à nouveau jeté en prison alors que "La Gamine" leur trouve une maison (Ce n'est pas Buckingam Palace! dira-t-elle!). Charlot trouve alors un nouvel emploi dans une usine...mais pour une matinée, faute de grève. A la suite d'un nouveau quiproquo, le vagabond est une fois de plus jeté en prison. Cette fois-ci, "La Gamine" trouve un emploi dans un restaurant de nuit en tant que danseuse. Elle présente son compagnon (qui n'est resté qu'une semaine en prison) à son patron qui l'embauche provisoirement. La nuit même, Charlot accumule les maladresses pour servir les clients et a oublié les paroles qu'il doit chanter... Il improvise un Charabia, et le spectateur assiste à un moment gravé à jamais dans toutes les mémoires: Charlot parle! Enfin! Sa voix est grave et son langage, incompréhensible...Qu'importe! Chaplin démontre avec brio que le mime est LE langage universel. Charlot fait donc un triomphe et il est embauché à plein temps! Mais le bonheur est de courte durée: en effet, "La Gamine" est recherchée car elle est mineure et orpheline...Deux agents de police sont donc parmi le public. Le vagabond accompagné de sa bien-aimée quitte la ville dans l'espoir d'une vie meilleure...Ce long-métrage est considéré par les historiens du cinéma comme le dernier grand film muet d'Hollywood. Ce dernier film mettant en scène Charlot est moins approfondi du point de vue mélodramatique que son prédécesseur, Les Lumières de la Ville...En revanche, ce dernier est moins approfondi du point de vue social que Les Temps Modernes, qui est le résultat d'un travail de 22 ans, depuis 1914, date de création du célèbre personnage. L'intensité dramatique est ici à son paroxysme car la pauvreté y est perçue comme une fatalité face à l'Industrie, la Société et la Répression... Ce film est certainement né du traumatisme qu'a vécu Chaplin en 1931, à son retour aux Etats-Unis, après un tour du monde d'un an et demi. En effet, les affrontements entre forces de l'ordre et grévistes ou chômeurs étaient excessivement violents... L'Amérique connaît alors une très grave crise qui est la conséquence du Jeudi Noir...Cinéaste engagé, Chaplin l'est sans aucun doute, il signe ici un film plus pessimiste, du moins jusqu'au final, qui est abstrait car pouvant être approprié par chacun (cette fameuse route est le symbole de l'Avenir, vous l'aurez compris), et paradoxal: le moral des personnages est au plus bas, alors qu'ils sont éternellement à la recherche du bonheur...Ainsi, Les Temps Modernes invite le spectateur à la rêverie pour tenter d'oublier le problème présent... Mais n'est-ce pas le but populaire du Cinéma?
Le plus grand duel de l'Histoire!
Le succès des Temps Modernes est énorme...Le dernier rôle de Charlot fut un bon argument pour assurer la promotion du film...Cependant, il restait une dernière chose à faire...Depuis Janvier 1933, un petit homme est au pouvoir en Allemagne. Il porte une haine démesurée en lui et possède une moustache, la même que celle de Charlot...Elle a été volée! Il faut que Chaplin récupère cette moustache, la moustache de son personnage fétiche...Avant cela, deux projets germent dans la tête du génie; l'un sera consacré au Christ et l'autre à Napoléon...Son choix se portera sur Hitler...En 1938, il commence l'écriture de son film...Tout Hollywood est au courant et ses amis les plus proches lui conseillent de ne pas donner suite à ce projet. Chaplin, prévoyant comme on le sait, espère voir un accueil favorable en U.R.S.S. . Mais l'impensable se produit le 23 Août 1939: le pacte germano-soviétique. Le réalisateur débute le tournage de son film le 9 Septembre 1939 dans le secret le plus total. C'est décidé, ce long-métrage sera parlant... Le Dictateur, c'est son titre, narre la vie d'un petit barbier juif devenu amnésique à la fin de la Première Guerre Mondiale suite à la défaite de son pays, la Tomania...Il quitte sa maison de repos vingt ans plus tard, croyant avoir été absent une ou deux semaines...De terribles événements se sont néanmoins produits dans son pays: un petit homme nerveux du nom de Hynkel accède au pouvoir...Le barbier est son sosie...Des ghettos sont créés et le barbier rentre dans l'un d'entre eux...A sa grande surprise, il réalise que de nombreuses choses ont changé comme sa boutique par exemple, laissée à l'abandon...La vie continue malgré tout, et le petit homme tombe amoureux de la belle Hannah. Un certain commandant Schultz est chargé de gérer la vie du ghetto...Il reconnaît son ancien camarade de guerre, le barbier et se rend compte de l'extrême barbarie de son maître Hynkel...Il sera mis aux arrêts mais s'évadera et se cachera dans le ghetto. Désormais, on cherche Schultz et le barbier...
Au Palais de Hynkel, tout le monde se prépare à accueillir Napaloni, un dictateur voulant envahir l'Osterlich, tout comme Hynkel...Un pacte est conclu, et seule la Tomania envahira ce pays...Le barbier et son ami sont arrêtés et envoyés en camp de concentration...Ils parviennent à s'échapper et, suite à un incroyable quiproquo, le barbier est pris pour le dictateur victorieux qui est lui-même pris pour le barbier; il doit s'exprimer devant ses troupes...
Je suis désolé, mais je ne veux pas être empereur, ce n'est pas mon affaire. Je ne veux ni conquérir, ni diriger personne. Je voudrais aider tout le monde dans la mesure du possible, juifs, chrétiens, païens, blancs et noirs. Nous voudrions tous nous aider si nous le pouvions, les êtres humains sont ainsi faits. Nous voulons donner le bonheur à notre prochain, pas lui donner le malheur. Nous ne voulons pas haïr ni humilier personne. Chacun de nous a sa place et notre terre est bien assez riche, elle peut nourrir tous les êtres humains. Nous pouvons tous avoir une vie belle et libre mais nous l'avons oublié. L'envie a empoisonné l'esprit des hommes, a barricadé le monde avec la haine, nous a fait sombrer dans la misère et les effusions de sang. Nous avons développé la vitesse pour nous enfermer en nous-mêmes. Les machines qui nous apportent l'abondance nous laissent dans l'insatisfaction. Notre savoir nous a fait devenir cyniques. Nous sommes inhumains à force d'intelligence, nous pensons beaucoup trop et nous ne ressentons pas assez. Nous sommes trop mécanisés et nous manquons d'humanité. Nous sommes trop cultivés et nous manquons de tendresse et de gentillesse. Sans ces qualités humaines, la vie n'est plus que violence et tout est perdu. Les avions, la radio nous ont rapprochés les uns des autres, ces inventions ne trouveront leur vrai sens que dans la bonté de l'être humain, que dans la fraternité, l'amitié et l'unité de tous les hommes. En ce moment même, ma voix atteint des millions de gens à travers le monde, des millions d'hommes, de femmes, d'enfants désespérés, victimes d'un système qui torture les faibles et emprisonne des innocents. Je dis à tous ceux qui m'entendent : Ne désespérez pas ! Le malheur qui est sur nous n'est que le produit éphémère de l'habilité, de l'amertume de ceux qui ont peur des progrès qu'accomplit l'Humanité. Mais la haine finira par disparaître et les dictateurs mourront, et le pouvoir qu'ils avaient pris aux peuples va retourner aux peuples. Et tant que des hommes mourront pour elle, la liberté ne pourra pas périr. Soldats, ne vous donnez pas à ces brutes, à une minorité qui vous méprise et qui fait de vous des esclaves, enrégimente toute votre vie et qui vous dit tout ce qu'il faut faire et ce qu'il faut penser, qui vous dirige, vous manœuvre, se sert de vous comme chair à canons et qui vous traite comme du bétail. Ne donnez pas votre vie à ces êtres inhumains, ces hommes-machines avec une machine à la place de la tête et une machine dans le cœur.
Vous n'êtes pas des machines !
Vous n'êtes pas des esclaves !
Vous êtes des hommes, des hommes avec tout l'amour du monde dans le cœur.
Vous n'avez pas de haine, sinon pour ce qui est inhumain, ce qui n'est pas fait d'amour.
Soldats ne vous battez pas pour l'esclavage mais pour la liberté. Il est écrit dans l'Evangile selon Saint Luc "Le Royaume de Dieu est dans l'être humain", pas dans un seul humain ni dans un groupe humain, mais dans tous les humains, mais en vous, en vous le peuple qui avez le pouvoir : le pouvoir de créer les machines, le pouvoir de créer le bonheur. Vous, le peuple, vous avez le pouvoir : le pouvoir de rendre la vie belle et libre, le pouvoir de faire de cette vie une merveilleuse aventure. Alors au nom même de la Démocratie, utilisons ce pouvoir. Il faut tous nous unir, il faut tous nous battre pour un monde nouveau, un monde humain qui donnera à chacun l'occasion de travailler, qui apportera un avenir à la jeunesse et à la vieillesse la sécurité. Ces brutes vous ont promis toutes ces choses pour que vous leur donniez le pouvoir : ils mentaient. Ils n'ont pas tenu leurs merveilleuses promesses : jamais ils ne le feront. Les dictateurs s'affranchissent en prenant le pouvoir mais ils font un esclave du peuple. Alors, il faut nous battre pour accomplir toutes leurs promesses. Il faut nous battre pour libérer le monde, pour renverser les frontières et les barrières raciales, pour en finir avec l'avidité, avec la haine et l'intolérance. Il faut nous battre pour construire un monde de raison, un monde où la science et le progrès mèneront tous les hommes vers le bonheur. Soldats, au nom de la Démocratie, unissons-nous tous !
Ce (très) long texte fut décrié par la critique, à tort puisqu'il est une ode au bonheur et à la fraternité...C'est à partir de ce long-métrage, et de ce texte, que Chaplin fut soupçonné de sympathies communistes. La critique est donc mitigée, puisque le réalisateur s'engage politiquement contre le nazisme. Ici, ce n'est pas le petit barbier qui parle, mais Chaplin; on l'a dit maintes fois mais il faut le rappeler...En dépit de ces nombreuses critiques, Le Dictateur est le plus grand succès public de Chaplin, bien qu'il ne soit distribué en Europe qu'en 1945...Succès entièrement logique à l'époque où Lubitsch réalisait To Be or not to be, alors que Lang nous offrait Chasse à l'Homme (à propos de Lang et de la UFA, sachez que cette dernière avait lancé un procès contre Chaplin pour avoir plagié A Nous la Liberté de René Clair avec Les Temps Modernes; Le Dictateur ranima la haine de cette société envers l'artiste qui versera une modeste somme d'argent pour être en paix) ...
Drapeau rouge, John Edgar Hoover, Joan Barry et Orson Welles
Titre vaste et hétéroclite pour aborder le temps qui s'est écoulé entre 1940 et 1947...Tout d'abord, Charlie Chaplin est considéré comme un communiste en raison de son engagement envers le socialiste Roosevelt et son incitation à ouvrir un second front d'attaque vers l'Est...Le directeur du F.B.I., John Edgar Hoover, élabore un dossier le concernant; Chaplin est désormais sur la liste noire des artistes suspectés de sympathies communistes...Le terrain est préparé pour la terrible chasse aux sorcières d'après-guerre qui sévit aux Etats-Unis...En 1941, Chaplin fait la connaissance d'une jeune fille de dix-sept ans, Joan Barry...Il noue une relation amoureuse avec elle, qui est mentalement instable; c'est pourquoi il la quitte mais un 23 Décembre 1942, Barry s'introduit dans la villa de Chaplin à Beverly Hills et le menace avec un revolver...Sydney Chaplin Junior, le fils du réalisateur, est un témoin furtif de la scène...C'est le début d'un long procès où les avocats de la jeune fille l'incitent à accuser Chaplin d'être le père de Carol Ann, la fille de Joan Barry...Les tests sanguins révéleront qu'il n'est pas le père mais il sera condamné à une très lourde pension alimentaire... Après ces péripéties, Chaplin rencontre une immense légende du Cinéma: Orson Welles. Ce dernier lui avoue vouloir faire un film sur le célèbre tueur de femmes Landru; Chaplin achète l'idée à Welles pour 5 000 dollars et une mention au générique de son prochain film, son chef-d'oeuvre absolu, d'une maîtrise et d'une vérité désarmantes: Monsieur Verdoux.
Deux générations mais une même qualité: le Génie...
A comedy of murders
Esthétiquement, Monsieur Verdoux dérange; tout d'abord, le titre original est bien Monsieur Verdoux...Il est donc en français et ce choix se justifiera un peu plus tard dans le générique...Ce premier carton est orné de petits dessins rappelant ceux de La Ruée Vers l'Or (la version de 1925)...Un retour au muet, et par la suite, on le verra, à Charlot, semble être fait. Orson Welles est bien mentionné sur le carton suivant puis c'est au tour de Roland Totheroh d'être présenté...On aura l'impression, dans les premières minutes du film, qu'il ne s'est pas appliqué comme il l'a fait sur le tournage des Lumières de la Ville...Son noir et blanc n'est pas aussi contrasté qu'auparavant...C'est faux! Nous le verrons par la suite (beaucoup de suites, cher lecteur, sont promises depuis le début du paragraphe mais sachez qu'elles seront tenues!). Vers la fin de ce générique apparaît Robert Florey, qui est ici assistant réalisateur: voici la première réponse à une de nos interrogations...Pourquoi axer ce film sur la France? J'évoquais l'esthétisme du film et il semble plus français qu'américain...Quel curieux changement de style chez Chaplin, mais pour le bonheur du spectateur (ce changement se traduit par une fluidité dans le récit transmise à l'aide de fondus enchaînés et d'images récurrentes comme les roues du train lorsque Verdoux effectuera un déplacement géographique). Le film s'ouvre donc sur une image de la tombe de Verdoux; une information capitale dans le film qui réduit à néant le genre du film à suspense ou film noir...L'intérêt est ailleurs; mieux, Chaplin/ Verdoux est entendu en voix-off et raconte sa vie...Son mode de fonctionnement pour assassiner, ses motifs, sa famille, la crise financière...Tout est explicité dès la deuxième minute du film...Intéressons-nous maintenant à la deuxième phrase du discours de Verdoux: As you see, my real name is Henri Verdoux. Qui parle ici? Verdoux qui, ayant pris de nombreuses identités, se dévoile enfin au public (le récit est original car non-linéaire, une idée de Welles certainement!) ou alors...Charlot....cette victime sociale qui n'avait ici aucun nom établi, aucune identité, aucune appartenance...Un profond malaise s'installe ici en vous et André Bazin va tout de suite l'apaiser: Résumons tous ces traits en un seul: Charlot est par essence l'inadapté social, Verdoux est un suradapté. Par le retournement du personnage, c'est tout l'univers chaplinesque qui se trouve du coup renversé (...) M. Verdoux, c'est un Charlot qui oserait défier le monde. Un Charlot riche, élégant, séducteur, capable de jouer si bien le jeu de la réussite sociale que la Société, s'en apercevant, se condamne elle-même en l'envoyant à la guillotine. Ainsi, Verdoux s'impose comme étant la véritable face de Charlot; la Seconde Guerre Mondiale et Le Dictateur avec ce fameux combat de moustaches y est certainement pour beaucoup. Ce fut une belle démarche de communication...La communication justement, elle est inédite dans un film de Chaplin dans la mesure où Monsieur Verdoux est le premier film de Chaplin qui utilise une voix-off et ce, dès la première minute du film (celle qui annonce tout ce qui doit rester secret dans un film à suspense...). Ainsi, et nous l'avions affirmé plus haut, l'intérêt est ailleurs. L'important dans ce film réside dans la psychologie des protagonistes...Verdoux, qui était ici un tueur de dames, n'avait qu'un amour selon le spectateur: celui de l'argent. Réponse hâtive! Verdoux a un fils et une femme infirme, qu'il chérit...C'est pour eux qu'il se bat et le meurtre est ici (partiellement) justifié...Bazin parlait de suradapté de la société en parlant de cet homme. C'est ici l'antithèse sur l'Amour qui est développée (la synthèse, si elle existe, peut se retrouver, même insuffisante, dans Les Feux de la rampe); Verdoux est si adapté à cette société qu'il est un suradapté: il se retire, a une vision nitchzienne du monde qui l'entoure et décide d'y revenir en prenant diverses identités...Au fond, Verdoux n'existe qu'à travers les personnages qu'il incarne: Monsieur Varnay, le capitaine Bonheur...et même Charlot. Le spectre de Chaplin/ Verdoux a plané durant tous ces films, de Making a living jusqu'aux Feux de la rampe et c'est sans doute pourquoi Monsieur Verdoux est la clef du Mystère de l'Oeuvre de Chaplin, son oeuvre la plus importante...
Chasse aux sorcières
Le film sort le 11 Avril 1947 et l'accueil de la critique est glacial; on reproche à Chaplin de prendre des positions trop communistes. Howard Barnes écrit dans le Herald Tribune: Monsieur Verdoux n'offre rien qui puisse nous divertir, c'est du sombre symbolisme ou de la pure absurdité...Un affront aussi à l'intelligence. Pauvre homme! Il n'a rien saisi à cette oeuvre majestueuse, mais le public américain est également dérouté...Seule l'Europe a chaleureusement accueilli ce film qui fut boycotté par des extrémistes de droite en Amérique dès sa sortie. Au lendemain de la première, une conférence de presse tourne vite au procès afin d'établir clairement les opinions politiques de Chaplin, qui affirmera plus tard que ce film est le plus intelligent et le plus brillant de sa carrière. Heureux homme! Nous sommes en 1949 et de nombreux mouvements vont à l'encontre de Chaplin...On parle déjà d'expulsion...Auparavant, Chaplin témoigna de son soutien à des communistes menacés en Europe. Le nouveau projet du cinéaste est en route et le tournage durera deux mois et six jours...Le 16 Septembre 1952, le citoyen du monde s'apprête, avec sa famille, à retourner sur les lieux de son enfance comme il le fit en 1921...Le Queen Elisabeth part de New-York et Oona, sa femme, lui annonce qu'il a été expulsé...La Statue de la Liberté s'efface peu à peu, tout comme son histoire d'amour avec le pays qui lui a offert la gloire (on pourrait presque dire que c'est Chaplin lui-même qui offrit la gloire à ce pays): les Etats-Unis...
Le poète et sa ville...
Ce film, que je considérais longtemps comme étant le chef-d'oeuvre de Chaplin, s'appelle Les Feux de la rampe. Il narre l'avant guerre au début du XXe siècle; plus précisément la déchéance d'un clown, Calvero, alcoolique, pauvre, vivant dans les bas-fonds de Londres...Dans son immeuble, une jeune femme, Terry, tente de se suicider...Il la recueillera; elle est atteinte d'une paralysie des jambes mais est danseuse. Terry tombera amoureuse d'un jeune artiste, Neville mais se sent attachée à Calvero. Tous les deux, il remonteront ensemble une à une les marches qui conduisent à la reconnaissance artistique jusqu'à la mort de Calvero, arrivée à un instant d'apothéose cinématographique, théâtrale, artistique... L'histoire peut paraître un peu trop triste mais elle est traitée avec tant de noblesse que la poésie atteint ici une rare force. Le personnage principal, il semble évident qu'il est incarné par Chaplin mais c'est faire impasse sur la véritable force du film: le personnage de Terry; ce personnage a été malheureusement omis par les critiques. Véritable réincarnation de la mère de Chaplin, elle eut un handicap sur scène, sa voix était brisée, mais ceci n'était que purement psychique...Ici, le personnage de Terry ne peut plus se servir de ses jambes alors qu'elle est danseuse! Un comble! Mais cette claque qui est donnée à Terry par Calvero est, me semble t-il, la claque du fils donnée à sa mère, pour la sortir de sa bêtise: Calvero devient ici et uniquement ici Chaplin (on peut aussi parler de la scène du cauchemar, où Calvero ne voit plus personne à son spectacle...Vision qu'aurait pu avoir Chaplin suite à l'échec commercial de Monsieur Verdoux). Certes, le personnage de Calvero est très important dans ce film, il y a du Chaplin en lui, mais lequel? Je pense à Charles Chaplin Senior, le père de Charlie...Ce vieux clown alcoolique qui ne fait plus rire personne. Les Lumières de la ville et Monsieur Verdoux étaient contradictoires mais curieusement complémentaires à propos de la vision de l'Amour...Ici, la synthèse de ces deux films est partiellement développée et ce partiellement peut être expliqué par la haine qui ne cessait de croître entre Chaplin et l'Amérique, autrefois enlacés comme deux amoureux; Calvero aime ici sa ville, Londres, son violon (qui donnera lieu à une magnifique séquence de retrouvailles entre Keaton et Chaplin, Keaton venait d'apparaître deux ans plus tôt dans Boulevard du Crépuscule de Wilder et bientôt, Langlois et la Cinémathèque allaient lui rendre hommage...), le théâtre (Je déteste la vue du sang mais il coule dans mes veines,magnifique métaphore!) Neville, bien qu'il soit éperdumment amoureux de Terry, et cette dernière. Au final, Calvero aime tout ce qui se rattache à l'être humain: la ville est le reflet du génie créatif de l'Homme, le violon et le théâtre sont l'expression de sentiments humains, et Neville et Terry sont des êtres humains...L'Amour n'est ici possible que lorsque l'on a pris conscience de son importance dans la vie terrestre, il n'est plus qu'une transmission du savoir ou de la vie...Ce terme de conscience est essentiel dans le prochain film de Chaplin, toujours assassiné par la critique, mais pourtant magnifique et très personnel, Un roi à New-York...
America!
Les Feux de la rampe sort le 23 Octobre 1952...Chaplin vit éphémèrement à Londres et le film est interdit dans de nombreuses salles aux Etats-Unis...La haine anti-Chaplin débute (elle n'est toujours pas arrêtée comme en témoigne le nombre de célébrations, de commémorations de la mort de Chaplin, à Hollywood...Zéro...). Le réalisateur décide de rester en Europe suite à l'accueil qu'il a reçu. Ce communiqué de Chaplin explique son départ: J'ai été l'objet de mensonges et d'une propagande maligne de la part de groupes réactionnaires qui, par leur influence et leurs appuis dans la presse délatrice, ont créé une atmosphère malsaine où des individus d'esprit libéral peuvent être montrés du doigt et persécutés. Dans ces conditions, il m'est virtuellement impossible de poursuivre mon travail cinématographique et j'ai en conséquence renoncé à ma résidence aux Etats-Unis. Son nouveau film sera consacré à cette atmosphère malsaine et cet esprit libéral: Un roi à New-York...L'écriture du scénario est très longue, deux ans, et il est écrit en Suisse, nouveau lieu de résidence de Chaplin. Le film raconte l'histoire d'un roi des pays de l'Est, Shadov, contraint à l'exil suite à une révolution dans son pays...Bien pensant, il a pris le soin de voler l'argent de l'Etat avant de partir aux Etats-Unis, terre d'accueil chaleureuse...Malheureusement pour lui, le Premier Ministre disparaît avec l'argent... Shadov, aidé de son fidèle Jaume, doit travailler pour survivre, même si il est une célébrité. Il découvre cette jungle urbaine qu'est New-York, ses spectacles en tous genres, ses bruits insolents, ses musiques déchaînées, sa publicité envahissante, bref, l'Empire de la Consommation. Shadov, d'abord effrayé par cette ville, s'habitue peu à peu à ces coutumes jusqu'à travailler pour faire l'éloge d'une bière à travers une publicité...L'intérêt du film réside dans le personnage de Rupert, incarné par un des fils de Chaplin...Ce petit homme de 10 ans parle "comme un grand" de "choses de grands"; la politique le fascine, il lit Marx, disserte avec Shadov à propos du communisme, de l'immigration, de thèmes toujours d'actualité...Ses parents seront dénoncés comme étant communistes et ce film mérite d'être vu ne serait-ce que pour la scène finale, où Rupert pleure et se cache de honte après avoir dénoncé des communistes pour sauver ses parents sous la pression de l'Etat...Le malheur du Roi à New-York réside dans le registre qu'il souhaite adopter...La critique de Chaplin est féroce, admirable même (la séquence où les rues new-yorkaises sont "rythmées" par des tambours venus d'Afrique est jubilatoire) mais le film peine à s'engager pleinement du fait de son côté tragi-comique...Le long-métrage, en effet, n'est pas totalement tragique puisque selon le cinéaste, la comédie naît de la tragédie, et pas totalement comique non plus du fait de la scène finale décrite plus haut, poignante bien que légèrement trop moraliste...Je préfère la qualifier d'humaniste puisque ce film, loin d'être mauvais, ne trouva pas son succès à sa sortie; l'époque était propice à l'épanouissement de cette oeuvre (La Guerre Froide) mais aujourd'hui, le message final peut paraître dépassé et c'est pourquoi on parle de morale plutôt que d'humanité...
Disparition(s)...
Le public disparaît, le film est un échec et sortira aux Etats-Unis plus de vingt ans après sa sortie en Europe...La première muse de Chaplin, la splendide Edna Purviance, meurt dans l'indifférence générale après avoir été noyée dans l'alcool le 13 Janvier 1958...Avant cela, Chaplin et sa femme avaient vendu les parts qu'il possédaient avec la United Artists et les Studios Chaplin (aujourd'hui aux mains d'une entreprise d'animation). Le mois suivant, le nom de Chaplin disparaît de la Promenade des Célébrités à Hollywood...L'Artiste ressort trois de ces plus grands films comiques appelé The Charlie Chaplin Revue (composé de Charlot Soldat, Une Vie de chien et du Pèlerin)...Avec ce succès public, Chaplin espère secrètement renouer avec le personnage de Charlot...Un véritable fantasme pour ses admirateurs, mais si ce projet arriverait à son terme, ce serait avec le mythe de Chaplin...L'autobiographie de ce Génie sort en 1964, Histoire de ma vie...L'année suivante, son frère Sydney décède...Je n'ai pu voir le dernier film de cette légende, La Comtesse de Hong-Kong, narrant l'aventure amoureuse entre un homme riche et une prostituée russe dans le ton des comédies américaines dignes de Capra, Mac Carey ou Hawks...Chaplin n'apparaît qu'à un seul moment dans ce film, tout comme dans L'Opinion Publique, film dont le personnage principal est également une femme...Citons uniquement Eric Rohmer qui, même si il déteste Chaplin (!), a su reconnaître en ce film les qualités qui lui sont dues: On peut tout dire par la Comtesse, rien sur elle.
Retrouvailles et reconnaissance (?)
Chaplin a réalisé son dernier film à l'âge de 78 ans...Dix ans après, il n'existe plus que virtuellement, à travers ses films...Je n'ose plus dire le MOt qui choque, celui qui met un teRme à la magie qu'il nous a procuré, à la gaieTé qu'il nous a offerte. Que s'est-il passé durant ces dix dernières années? Le retour du nom de Chaplin sur la Promenade des Célébrités à Hollywood en Mars 1972, le retour de Chaplin sur sa terre d'accueil et un Oscar spécial décerné le jour de son anniversaire...L'émotion fut très grande pour le public et pour l'Artiste qui se verra décerner en 1975 le titre de chevalier par la Reine Elisabeth II...Parlons maintenant de Sir Charles Spencer Chaplin. Malgré cela, tous ces éloges ne suffisent pas à masquer la haine un peu plus modérée aujourd'hui qui subsiste aux Etats-Unis envers leur meilleur artiste (si tenté que Chaplin appartienne à un pays...).
Que reste-t-il de nos amours ?
L'héritage de Chaplin existe-t-il? Oui...Il n'est pas aussi important que l'Oeuvre de ce génie mais citons deux comiques, Gad Elmaleh, qui, avec sa démarche, rappelle de temps en temps le vagabond, et Fellag, qui n'a jamais caché son amour pour l'Artiste...Idem pour le mime Marceau, décédé récemment, qui fit ce métier par amour des courts-métrage de Chaplin...Jacques Tati, bien que son comique ne soit pas de même nature que celui de Chaplin, est souvent comparé à ce dernier...Pierre Etaix, qui se bat aujourd'hui pour promouvoir ses films (je vous invite à signer ici la pétition), est également un héritier du cinéaste. Malheureusement, cette liste (qui n'est pas complète, loin de là), n'est pas très longue et voyons ici une volonté inconsciente de ne pas "copier" Chaplin pour mieux le faire rayonner dans le paysage cinématographique...
Qui est Charlie Chaplin ?
En plagiant le titre du célèbre article de Truffaut, je me permets d'évoquer la remise d'une récompense au Festival de Cannes qui mérite d'être racontée: Chaplin arrive sur scène, acclamé par le public qui se lève, pleure, applaudit, crie son nom...Chaplin pleure également, le ministre de la Culture est sur scène, il est atteint d'une maladie incurable et se tient avec une canne...Chaplin saisit une nouvelle fois l'occasion de faire rire le public à travers le personnage de Charlot; il s'avance vers le ministre, prend sa canne, Charlot revit l'espace d'un instant, les rires sont assourdissants et le ministre ne tient plus debout...C'est peut-être ça, Chaplin, un homme qui, dans une foule, verra toujours l'objet auquel personne ne porte son attention pour y déceler l'utilité qui provoquera l'hilarité...
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