Douceur et Lumière
Nul ne peut connaître la vie de l’esprit si la douceur lui est étrangère. L’animosité, l’amertume ou l’aigreur que l’on rencontre chez quelques -uns sont les marques de l’amour -propre ; elles ont un goût de chair qui se mêle alors à toutes leurs pensées, quelles qu’en soient la force et la grandeur.
On voit parfois des hommes de science qui courent à la recherche de la vérité comme à une conquête. Ils pensent qu’elle ne livre ses secrets qu’à qui est capable de l’y contraindre soit par la rigueur de la démonstration, soit par la torture des instruments. Mais dans cette espèce de violence, la vérité peut se laisser surprendre, elle ne fait point alliance avec nous. Pour qu’elle devienne la récompense de l’esprit, il faut qu’il montre à l’égard des choses une exacte docilité, qu’il soit capable de suivre avec fidélité leur courbe la plus sinueuse. Elle demande toujours qu’il obtienne avec le réel une sorte de concours et même de coïncidence dont la perfection se mesure à sa douceur même. Il faut écouter les réponses que la vérité nous fait dans une sorte d’immobilité et de silence intérieur. Elle attend la complicité d’une attention où il faut qu’elle trouve déjà de l’acceptation, du respect et de l’amour. Dès qu’on essaie de la forcer, elle est rebelle, et cherche à se dérober.
Il faut apaiser le tumulte du corps, les réactions aveugles de l’instinct, et parvenir à une parfaite douceur intérieure pour que les choses nous montrent un clair visage et nous témoignent de l’amitié. Il n’y a point d’événement, ni de circonstance, ni d’être mis sur notre chemin que nous ne soyons capable d’accueillir par la violence ou par la douceur. Et beaucoup d’hommes recherchent la violence et s’y plaisent parce qu’elle leur donne plus d’ébranlement. Un certain nombre lui préfèrent l’indifférence, soit par nature, soit par dessein et lui donnent le nom de sagesse. Quelques-uns seulement connaissent cette divine douceur qui pénètre de lumière l’atmosphère où nous vivons et spiritualise tout ce qu’elle touche.
La douceur est fille de la lumière. C’est toujours la nature qui donne l’impulsion : quand la lumière réussit à l’apaiser et à la fondre, elle expire en douceur. Et la douceur est à l’opposé de l’indifférence, car cette lumière, dès qu’elle naît, rayonne d’amour. La douceur n’est donc pas le contraire de l’ardeur : elle en est la forme la plus parfaite et la plus purifiée. Et si Pyrrhon, qui est le prince des sceptiques, pratiquait, comme on le dit, la douceur véritable, et non point l’indifférence, c’est qu’il y avait chez lui, derrière tous les doutes de la pensée, une participation délicate à l’être et à la vie qu’auraient pu lui envier beaucoup de ceux qui se prononçaient sur de tels problèmes avec plus de hardiesse.
Louis Lavelle - L'Erreur de Narcisse
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