ƒ Aung San Suu Kyi : "La révolution essentielle est celle de l'esprit" | Carnet de vie

Aung San Suu Kyi : "La révolution essentielle est celle de l'esprit"








L'admirable leçon d'espoir d'Aung San Suu Kyi

LEMONDE | 16.11.10 | 
Nul ne peut rester indifférent à la vue de cette frêle femme de 65 ans à la volonté de fer qui émerge gracieusement d'une implacable assignation à résidence de sept ans, coupée du monde dans sa grande maison délabrée de Rangoun, pour proclamer sa foi dans la démocratie et appeler au dialogue.


On aura guetté en vain, dans l'attitude d'Aung San Suu Kyi, l'opposante à la junte birmane, qui a passé quinze des vingt et une dernières années en détention sous une forme ou sous une autre, des signes d'amertume ou de ressentiment. Pendant ces années d'isolement, pourtant, son mari est mort loin d'elle, en Grande-Bretagne, et elle a été séparée de leurs deux fils. Son parti a été dissous, plus de 2 000 opposants jetés en prison.
Mais, dimanche 14 novembre, à Rangoun, la Prix Nobel de la paix, des fleurs dans ses cheveux et un sourire serein sur le visage, toute à la joie de retrouver la foule de ses compatriotes, n'a parlé que de réconciliation nationale.
D'autres avant elle, sous d'autres cieux mais confrontés comme elle à des régimes totalitaires, ont fait le même pari et l'ont gagné. L'académicien soviétique Andreï Sakharov, libéré en 1986 de son exil forcé à Gorki, n'avait pas encore posé le pied par terre en arrivant par le train en gare de Moscou, qu'il promettait déjà de reprendre son combat pour la démocratie. Les opposants polonais Adam Michnik etJacek Kuron, libérés en 1984 après avoir été emprisonnés sous l'état de guerre décrété contre Solidarité, réitéraient aussitôt leur détermination à se battre pour la liberté, malgré les policiers en civil déployés autour de chez eux. A Moscou comme à Varsovie, leur fermeté fut récompensée par un changement de régime quelques années plus tard.
En sera-t-il ainsi en Birmanie ? Rien n'est moins sûr au lendemain d'une élection truquée, le 7 novembre, dont l'objectif était de maintenir les militaires au pouvoir, y compris dans des habits civils. Aung San Suu Kyi a pris grand soin de ménager les généraux dans son premier discours de femme libre. L'opposante, à qui on a tant reproché son intransigeance, a, cette fois-ci, tendu la main à ses ex-geôliers.
Ceux-ci ne disent rien. Mais de multiples signes - la foule que l'on a laissée ovationner la Dame du lac, la rencontre autorisée avec les diplomates, l'annonce de la sortie de "la fille du général Aung San", héros national de l'indépendance, par les médias officiels - montrent que le pouvoir a pris la décision de laisser faire. A condition, sans doute, que l'enthousiasme des retrouvailles ne bascule pas.
Pourquoi ? Dans un pays aussi opaque que la Birmanie, il est difficile de crier victoire. Aung San Suu Kyi n'a pas hésité, elle, à demander le soutien de la communauté internationale pour ouvrir le dialogue avec le pouvoir. Pour la première fois, elle envisage une levée des sanctions occidentales qui frappent la Birmanie. Les pays occidentaux auraient tort de ne pas saisir l'occasion d'un "marché" : la libération des prisonniers politiques birmans en échange d'une levée des sanctions.
Article paru dans l'édition du 17.11.10

C’est une Mandela en jupon, pardon, une Mandela au féminin. Aung San Suu Kyi, cette figure de la résistance à la dictature de la junte en Birmanie, puisque c’est d’elle qu’il s’agit, mène un combat qui ressemble d’une manière ou d’une autre, à celui de la légende sud-africaine, Nelson Mandela. Son engagement en fait une figure de proue tant elle appartient à une race particulière d’humains, prêts à tout sacrifier pour leur conviction, pour le bien dont ils rêvent pour leur pays.
Eu égard aussi au fait que la chose politique et ce genre de combat avec ses implications attirent peu de femmes dans le monde actuel, l’attitude de cette dame n’en est que plus hardie. Sa silhouette ne court pas les rues comme le diraient certains. En effet, les exemples d’êtres humains, et particulièrement de femmes, de sa taille et de sa trempe, ne sont pas légion dans nos pays en développement surtout où les femmes peinent à se mettre au premier plan et où prévaut la loi des hommes.
Certes, en Afrique, des femmes comme Birtukan Mideksa en Ethiopie et Victoire Ingabire au Rwanda se battent et ont maille à partir avec les pouvoirs en place pour faire triompher leurs opinions. Mais, pour une raison ou une autre, leur combat n’a pas encore atteint les proportions (en tout cas médiatiques) prises par celui de Aung San Suu Kyi. En Amérique latine où les femmes sont très engagées politiquement et ont présidé ou président aux destinées de leurs Etats, elles ont eu, dans l’ensemble, affaire à moins d’adversité, d’inimitié. Une des figures féminines auxquelles l’on peut le plus rapprocher Aung San Suu Kyi est feue Benazir Butho, cette Pakistanaise qui n’avait pas hésité à braver le danger au point de payer, de sa vie, son engagement.
La bataille de la dissidente birmane contre la dictature du trio de généraux qui tiennent d’une main de fer son pays, se fait de façon pacifique. Cela mérite d’être souligné. C’est avec les mains nues qu’elle brave au quotidien le danger, la machine coercitive de la junte. Ce régime birman, dans la forme, ressemble fort à beaucoup de régimes africains d’il y a de cela quelques décennies quand le vent du renouveau démocratique ne soufflait pas encore sur le continent. Absence de liberté, paranoïa au sommet avec tout ce que cela implique comme mesures de bâillonnement, d’embrigadement de toute voix discordante. Aujourd’hui, son pendant est, dans une moindre mesure, le régime nord-coréen. Dans cette Birmanie des généraux, il se passe de temps à autre des élections, mais au regard des conditions qui entourent l’organisation de tels scrutins, c’est peu de dire que la fiabilité du verdict des urnes est sujette à caution. Jusque-là, la junte, fort heureusement d’ailleurs, s’est limitée à la placer en résidence surveillée. Cela est, sans aucun doute, très éprouvant et inacceptable pour elle et les partisans de la démocratie, les défenseurs des droits de l’homme.
Seulement, l’on a presque tendance à ne pas trop s’alarmer de ce traitement quand on sait que sous d’autres cieux, la vie même d’une telle « contestataire » aurait pu être mise en danger par ses contempteurs. En cela aussi, sa situation ressemble à celle de Mandela à cette exception que ce dernier avait, lui, été jeté en prison et pour une plus grande durée. Pourvu que cette sorte de retenue de la junte, qui est peut-être due à la pression de la communauté internationale, perdure tant que durera cette absence de liberté. En effet, la communauté internationale apporte d’une façon ou d’une autre, sa contribution au combat de la brave dame. Ce, à travers les protestations officielles qui fusaient des différentes capitales occidentales au moment de son assignation à résidence. Les sages d’Oslo l’ont également élevée au « panthéon » de l’humanité avec le célebrissime Prix Nobel de la paix qu’ils lui ont décerné en 1991. Sans doute que tout cela donne du tonus et du relief à son combat. La Chine qui reste le principal soutien de la junte devra jouer sa partition pour que les généraux lâchent du lest. A cause de la résistance de ce Nobel de la paix, son pays est très fréquemment sous les feux des projecteurs.
Dans son combat, elle aura beaucoup sacrifié : sa propre liberté, la vie tranquille en exil avec sa famille. C’est une dame presque unique en son genre. Elle est restée constante dans sa lutte pacifique. Sans doute, a-t-elle hérité ce caractère trempé de son père, le général Aung San, héros de l’indépendance birmane assassiné en 1947. Sa grande foi en la démocratie n’a pas pris de ride à l’épreuve de la privation de liberté pendant ces 7 longues dernières années où elle a été assignée à résidence. En effet, cette constance dans la résistance, on la perçoit à travers son appel en faveur de la liberté et l’invite qu’elle a faite le dimanche 14 novembre 2010 à ses partisans dans le sens de la poursuite du combat à la fin de son assignation à résidence. L’étau de la junte n’a donc pas réussi à la détourner de son objectif : contribuer à l’avènement de la liberté dans son pays. C’est sûr que si elle garde le cap, son combat finira, tôt ou tard, par être payé à sa juste valeur : l’avènement d’une véritable gouvernance démocratique dans son pays. Et c’est en portant sur ses épaules, aussi frêles soient-elles, des causes de ce genre que l’on inscrit en lettres d’or son nom dans le grand livre de l’histoire de l’humanité.



Les Echos  Roger-Pol Droit |

De la rectitude en politique

Tout semble dit, ces derniers jours, sur le retour d'Aung San Suu Kyi à la parole publique et à une relative liberté de mouvement. On soupèse ses capacités d'action, ses chances de pouvoir fédérer les opposants à la junte militaire, ses possibilités de retour sur la scène politique birmane, sa marge de manoeuvre restreinte. Tout cela importe, bien évidemment. Mais on oublie l'essentiel. Car ces considérations de tactique ou de stratégie demeurent dans un unique registre - celui des rapports de force. Or la partie décisive ne se joue pas sur ce terrain. Ce que rappelle la noble figure d'Aung San Suu Kyi, c'est que les affaires humaines ne relèvent pas seulement de l'ordre des faits. Elles relèvent aussi de ce qu'on peut appeler la rectitude.
Ce vieux terme semble devenu à peine audible. Il désigne une ligne morale plutôt qu'un plan de bataille. Rien n'empêche d'en déduire un programme d'action, voire une direction politique, à condition de préciser, d'entrée de jeu, que tout ici se joue dans la fidélité obstinée à des valeurs. La rectitude met pareille exigence au poste de commande. Ne pas plier, ne pas tricher, demeurer intégralement fidèle aux choix éthiques et aux promesses de départ. Résister aux menaces, intimidations, chantages, pressions et répressions. Préserver la complète fixité de cette armature morale -sans sombrer pour autant dans la rigidité. Demeurer inébranlable -sans risquer par là même de devenir fanatique. Voilà la rectitude.
Dans l'histoire de la philosophie, elle a ses lettres de noblesse. Socrate, dans le dialogue de Platon intitulé « Gorgias », l'a installée au coeur de la pensée avec une netteté parfaite. Ce qu'il refuse : le critère unique constitué par la victoire dans le registre des faits. A cette aune, la justice s'évanouit. Car les tyrans l'emportent, en fait -et les opposants perdent. Car les bourreaux, en fait, spolient les victimes, se débarrassent des corps et célèbrent leur forfait. S'il n'y a que les faits, personne ne choisira la défaite, le sacrifice et la souffrance. Le jeune Calliclès, qui défie Socrate avec l'arrogance des réalistes, montre qu'il vaut mieux être bourreau que victime. Aux criminels les mains pleines et aux justes leurs yeux pour pleurer. Si telle est la seule réalité, aucune hésitation -il faut faire jeu gagnant, donc être le plus fort. Le reste n'est qu'enfantillage.
La rectitude de Socrate fait intervenir, au contraire, un autre registre de réalité -celui de la justice et des normes morales. Là, les bourreaux sont perdants et les victimes glorieuses. Somme toute, ou bien il n'y a qu'un seul ordre du monde, celui des faits et des rapports de force, ou bien il y en a deux -les faits et les valeurs, les forces et le droit. Et ce clivage n'a cessé de traverser la pensée jusqu'à nos jours, même si la realpolitik a souvent pris le pas sur les exigences de la rectitude. On a prétendu que les bons sentiments ne pouvaient faire de bonne politique et répété que seuls comptent les résultats. Pourtant, ce réalisme a lui aussi ses limites, on le constate à présent de tous côtés. Du coup, la rectitude n'a pas dit son dernier mot.
Les figures qui l'incarnent sont aujourd'hui plus nombreuses et annoncent peut-être des métamorphoses. Ce qu'ont en commun -par exemple -le Mahatma Gandhi, Martin Luther King, Nelson Mandela, le 14 edalaï-lama et Aung San Suu Kyi, c'est justement une forme d'hybridation contemporaine de sagesse et de politique, de spiritualité et d'engagement. Ils incarnent des silhouettes nouvelles, car ce ne sont ni simplement des militants ni tout à fait des sages. Ces leaders mixtes, engagés dans des combats sociaux de longue haleine, ont en commun quelques convictions : « la révolution essentielle est celle de l'esprit », « être libre de peur constitue à la fois un moyen et une fin », la vérité, la justice et la compassion sont« souvent les seuls remparts qui tiennent contre un pouvoir sans pitié » -paroles d'Aung San Suu Kyi dans son célèbre discours de juillet 1990, Freedom from Fear. (Se libérer de la peur)

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