ƒ Jacques Perrin, maître à bord de ses rêves | Carnet de vie

Jacques Perrin, maître à bord de ses rêves

Source LeFigaro.fr

Par Marie-Noëlle Tranchant


« En fait, je ne suis pas devenu producteur, mais chargé de mission. Par moi-même », confie Jacques Perrin.

Le producteur et réalisateur d'«Océans» est le plus inspiré et le plus inspirantdes créateurs. Un bâtisseur d'empires poétiques, généreux de ses passions et de ses enthousiasmes.

La mer ? «Elle m'a d'abord été racontée par les hommes», dit Jacques Perrin. Par les récits des navigateurs solitaires, par les grands romanciers comme Conrad, qui emportent l'imagination et «font penser que les belles histoires commencent derrière l'horizon». Jacques Perrin a connu des marins et des pêcheurs, gens du large ou de la côte, tous habités de songe, entretenant avec la mer une relation fascinée. «Solitude poignante de l'homme au milieu de l'océan, formidable théâtre de l'univers, la mer est un grand miroir de notre âme. Ce qui nous constitue, c'est la perception poétique, même si on n'est pas poète.»

Son sourire aussi clair que ses yeux parle d'enfance et de grand large, ouvre l'espace, fend l'air et les flots. Il n'y a rien de blasé en lui. Rien d'étroit. Rien de petit. Il a le talent de l'émerveillement, et l'art de le propager comme une houle.

Le lointain Crabe-Tambour de Schoendoerffer, le navigateur des 40e Rugissants, le producteur de Tabarly lance, mercredi sur les écrans, Océans, le film qu'il a coréalisé avec Jacques Cluzaud : ce fabuleux opéra sur le peuple de la mer l'a mobilisé pendant sept ans. Rien ne prédestinait particulièrement à l'amour de la nature ce petit Parisien né en 1941 au cœur du monde du spectacle de la capitale. Son père est régisseur à la Comédie-Française, sa mère comédienne. Le jeune citadin découvre la mer à 13 ans, à Granville.

«Le fracas des vagues m'a paru insupportable ! se souvient-il. Un vrai choc. Cette agression sonore me faisait mal aux oreilles. Mon premier contact avec la mer, c'est le son. Pour Océans, c'était un élément symphonique essentiel. Bruno Coulais a pris les sons captés avec des hydrophones, et glissé sa musique dans les bruits naturels.» Après ce séjour à Granville, Jacques Perrin pensait «en avoir fini avec la mer». Le Conservatoire l'attendait, et «ce bonheur de voyager par les textes. Être acteur, c'est avoir sur soi les clefs de l'évasion». De ses années de formation, Jacques Perrin garde une estime pleine de tendresse pour la belle figure de maître de Fernand Ledoux, qui sera son père dans Peau d'âne, de Jacques Demy. «Il était on ne peut plus simple, gentil, attentif, formidablement attaché à comprendre l'être humain, à l'expliquer. Ces solitudes que sont les cœurs humains, comme dit Musset. Avec lui, il s'agissait de faire attention aux autres, de les observer. Que l'autre devienne une part de nous-même. Comme lorsqu'on parle d'un ami : on a spontanément tendance à adopter ses gestes, son ton. Ensuite, Ledoux nous conseillait de lire beaucoup, des philosophes notamment, pour découvrir des dimensions de l'homme qu'on ignorait.»

Meneur d'hommes libertaire
Plus tard, quand il commencera à se passionner pour le grand spectacle de la nature en produisant Le Peuple singe, de Gérard Vienne (1989). Ce sera comme une extension de son métier d'acteur. Une approche du mystère vivant du monde. On a si souvent des regards habitués. On se contente d'une perception hâtive, bornée. «Connaître, c'est souvent méconnaître», dit-il. L'acteur, en étudiant un personnage, en voyageant vers l'autre, découvre en lui-même des terres ignorées, «des îles lointaines, d'autres rivages». L'observateur épris de la nature rencontre mille merveilles à portée de regard. Sait-on qu'autour de Notre-Dame de Paris volent des rapaces ? Jacques Perrin ne veut pas seulement la connaissance. Il veut la compréhension intime, fraternelle, poétique. Une osmose des perceptions. C'est ce qu'il entend lorsqu'il dit qu'avec Océans, il propose aux spectateurs «d'être poisson parmi les poissons». Regarder. Écouter. S'apercevoir qu'on n'avait encore ni regardé ni écouté. Et prendre le temps de le faire.

Comment cet étonnant rêveur peut-il être aussi un producteur avisé, capable de rallier les financiers à des projets fous comme Le Peuple migrateur et Océans ? «Quand je parle à des banquiers, je ne leur dis pas “on va gagner un argent fou”, mais “on va bâtir le rêve”. C'est une autre arme que la comptabilité.» Et le charme opère. Les services comptables aussi. Jacques Perrin n'a rien d'un doux utopiste, il a l'âme d'un chef qui sait mobiliser les compétences et entraîner les énergies. Personne n'est plus responsable que ce bâtisseur d'empires poétiques.

Retour en arrière, vers les années 1960. Elles sont fastes pour le jeune acteur de 20 ans. Clouzot l'engage dans La Vérité ; l'Italie le découvre dans La Fille à la valise et Journal intime, de Valerio Zurlini, qu'il retrouvera pour Le Désert des Tartares. En 1965, Pierre Schoendoerffer l'entraîne au cœur de la guerre d'Indochine avec Bruno Cremer dans La 317e Section. La même année sort le film de Costa-Gavras Compartiment tueurs. En 1968, Jacques Perrin fait, tout seul, une petite révolution : il devient producteur, simplement parce que Costa-Gavras ne trouve pas de financement pour Z. «Quels sont les gens irresponsables qui refusent un tel film ?», se dit-il alors. Partout, on dénonce le système. Lui, il estime que «le premier des systèmes, c'est soi-même». Pour ne pas avoir à se dénoncer, il prend le film en charge. «En fait, je ne suis pas devenu producteur, dit-il, mais chargé de mission. Par moi-même.»

Il y a du libertaire chez ce meneur d'hommes qui prétend assumer tout ce qui est en son pouvoir et que lui dictent son désir et sa conscience. Mais en respectant l'autonomie des autres. À la tête d'équipes incroyablement nombreuses, diverses et complexes, pour Océans, allant du chercheur scientifique à l'ingénieur, au cameraman, au plongeur, à l'équipage des bateaux, il garde son aisance et sa souplesse, attendant de chacun «qu'il apporte une strophe au poème collectif». C'est pour lui, n'en doutons pas, que Baudelaire aurait pu écrire : «Homme libre, toujours tu chériras la mer.»




Site Officiel du Film : http://www.oceans-lefilm.com/

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