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Le centre du moi





En disant « moi », je donne au monde un centre : car le monde ne peut pas avoir pour centre un point matériel, mais seulement une pensée qui perçoit, qui veut et qui sent. Il n'y a qu'elle qui puisse contempler autour d'elle un horizon et en embrasser l'unité. Seulement nous savons depuis longtemps que le monde est infini et que son centre est partout. Il faut donc qu'il existe partout d’autres êtres qui, eux aussi, disent « moi ». On ne peut demander à aucun moi de renoncer à ce privilège qui lui permet de s'établir au centre du monde : autrement il ne serait qu'un objet parmi tous les autres. Mais si le moi est le centre du monde, c'est lui-même qui n'a plus de centre. Or, par une sorte de paradoxe, seule l'idée du Tout peut être le centre du moi ; seule elle peut régler tous ses mouvements, leur donner leur élan et leur but.
Comme nous sommes maîtres de nos mouvements, il n'y a pas de corps dont notre corps ne puisse s'éloigner ; et comme nous sommes maîtres de notre attention, il n'y a pas d'idée avec laquelle notre esprit ne puisse rompre le contact. Mais, de même que dans l'espace matériel nous ne pouvons nous détacher de notre propre corps, dans l'espace spirituel nous ne pouvons pas nous séparer de notre propre pensée. Pourtant, si nous cherchons vainement à nous fuir, plus vainement encore chercherions-nous à fuir le Tout où nous sommes placés pour demeurer seuls avec nous-mêmes. Car nous en retrouvons partout l'immuable présence ; il adhère à nous plus fortement que notre être même. Nous pouvons imaginer que nous disparaissions et que le Tout subsiste; mais nous ne pouvons pas imaginer qu'il disparaisse et que nous subsistions.
 La pensée de soi est stérile et exténuante, car c'est la pensée de nos limites. Mais on ne puise sa nourriture qu'hors de soi. C'est hors de soi que chaque être découvre les éléments de sa propre substance ; c'est en participant à ce qui n'est pas lui qu'il se crée lui-même indéfiniment. En se retirant en soi, il se perd : il ne rencontre que son être séparé ; en rapportant à soi tout ce qui est, il perd le contact avec l'absolu qui le fait être. Mais en se quittant, il se trouve ; car il dépasse sans cesse ses limites. Or il n'y a que le Tout qui puisse lui suffire.
Ainsi s'explique que le moi ne puisse obtenir aucun bien véritable comme le bonheur, l'amour ou la connaissance autrement qu'en sortant de lui-même. Ces biens se donnent à lui dès qu'il ne cherche plus à les capter — et même on pourrait dire qu'il faut qu'il se donne à eux pour être capable de les posséder. C'est que chacun d'eux lui ouvre un accès sur le Tout. Mais le moi ne peut espérer atteindre le Tout en dilatant son étendue qui est toujours si bornée, en tendant ses forces qui sont toujours si débiles. Il ne peut y parvenir que s’il accepte de se renoncer : alors seulement se découvre à lui la présence du Tout, dont il refuse de se laisser séparer et qui ne cesse de le combler.

 Louis Lavelle  

Source  PCSI : un autre regard

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